Une alèse en coton

Je regarde l’alèse de coton que je viens de laver. Il faudrait que je la remette sur le lit. Mais pour qui ferais-je cela ? Ma fille est partie hier vers sa vie. Elle a pris un train dans une gare où je l’ai accompagnée. Elle était heureuse. Elle avait peur. J’étais heureuse. J’étais triste.

Hier soir, au moment de dîner, Olivier me dit C’est le premier soir. Le premier soir sans enfant, notre premier soir de parents dont les enfants se sont envolés, de parents qui vont rester seuls jusqu’au bout de la vie.

Ca n’était pas la première fois bien sûr que nous dinions en tête à tête, et pas la première fois que nos enfants partent de la maison pour quelques jours ou quelques mois.

Et sans doute qu’ils reviendront souvent nous voir, passer du temps ici et avec nous.

Mais au niveau du subtil, tous les deux avons ressenti qu’hier était un jour inaugural. C’était, oui, la première fois que tous nos enfants étaient partis pour de bon, pour s’en aller vivre un épisode de construction de leur vie d’adulte. Et lorsqu’ils reviendront ce sera autre chose, une autre posture, une autre énergie. Ils sont adultes maintenant et nous ne sommes plus leur pourvoyeurs de soin au quotidien, leurs éducateurs responsables.

Nous avons échangé tous les deux sur nos ressentis. Olivier a parlé de peur, celle du vieillissement qui s’annonce, de la solitude dans cette nouvelle maison qui soudain lui semblait trop grande, avec ses deux chambres vides et le silence de l’absence de nos filles, présentes le mois écoulé.
J’ai quant à moi évoqué ma tristesse et le désoeuvrement de ma part maternante. Qui vais-je entourer de mon attention, de ma tendresse de mère ? Qui vais-je contempler avec cet amour inconditionnel que je réserve à ma seule progéniture ? Quand vais-je sentir mon coeur tressaillir en entendant leurs pas descendre l’escalier ?

Il n’est qu’à eux ce jaillissement, que pour eux cet élan de chair et de ventre. Que vais-je faire de toute cette intention, de cette chaleur et de mes bras ? Je me sens bancale soudain.

Je parle ici les mots de tant de mères, depuis tant de siècles. A mon tour de traverser cette réalité.

Hier soir, je nous regardais échanger nos sentiments, nos affects face à cette étrange et pourtant si commune nouveauté. Je nous regardais faire face à cette douleur banale avec conscience. Douleur banale qui ne l’était pas tant que cela pour nous qui la vivions pour la première fois. Mais nous rejoignions ainsi la cohorte des parents esseulés après tant d’années (27 en ce qui nous concerne) au service de nos enfants.

Alors ce matin, devant mon étendage, l’alèse de coton dans les mains et dans le coeur ce poids de l’absence et de l’inéluctable solitude maternelle, j’ai décidé de laisser la place à cette douleur, de l’accueillir, de la pleurer peut-être. Elle m’est nécessaire, je le sais, pour m’aider à me transformer et à passer doucement à une nouvelle étape de la vie.