Un des plus beaux cadeaux que j’ai reçu de ma mère

C’est en 1996. J’ai un peu plus de 25 ans, je suis jeune mariée et jeune mère d’un enfant de 7 mois.
Un soir d’hiver, Olivier, mon mari, est violemment agressé par un homme qui lui vole notre unique voiture. Passé par les urgences, il revient dans la nuit à la maison où je l’attends. Sans voiture, et avec un bébé endormi, je n’ai pas pu me rendre à l’hôpital. La nuit finie tant bien que mal, nous appelons mes parents pour leur demander un peu d’aide.
Il nous faut aller au commissariat, à l’assurance, trouver une voiture de dépannage. Nous sommes sous le choc de cette violence subie, nous titubons, nous émergeons.
Mes parents arrivent, ils prennent en charge notre fils le temps que nous fassions les formalités.
Et puis dans l’après midi, nous apprenons que cette affaire de vol est intriquée dans une affaire plus grave. Enquêteurs, police judiciaire. Nous devons nous déplacer plus loin, répondre à des inspecteurs. Nous ne savons pas si nous retrouverons notre voiture.
Mes parents s’occupent de notre bébé et nous prêtent leur véhicule. Ils nous accueillent chez eux, nous font à manger, nous écoutent.
Nous soufflons, nous parlons, pour pouvoir peu à peu intégrer la réalité dans laquelle nous nous sommes retrouvés malgré nous.
Etre ainsi baignés d’amour et d’attention nous permet de rester au contact de notre enfant et de l’entourer de mots et d’affection.
Puis le temps a passé, nous sommes retombés sur nos pieds, nous avons pu nous réancrer dans la vie du quotidien et reprendre le cours de nos chemins plus tranquilles.

Un jour où je me rends chez eux et où j’évoque avec ma mère cet épisode récent, je lui dis que je ne sais pas comment leur rendre tout ce qu’ils ont fait pour nous à cette occasion. Je me sens en dette, redevable de cette générosité à notre égard. Je me dis qu’il faut que je fasse quelque chose concrètement pour équilibrer la donne.
Mais en guise de réponse, elle m’offre cette phrase cadeau, cette phrase d’ouverture qui me saisit au coeur, si fort que je retiens tout de ce moment. Je nous revois, debout dans la cuisine, près de la table, face à face. Moi qui lui dis : « Je ne sais pas comment je pourrais vous rendre ce que vous avez fait pour nous. »

Et elle qui me répond : « Mais tu rendras à tes enfants ! »

D’un coup, je suis libérée de tout. De toutes les dettes passées et présentes. De toutes les dettes envers n’importe qui. Et même de toutes les dettes à venir.
D’un coup, je comprends que le don est une force qui ne va que dans un sens. Le don encourage à donner à son tour, mais pas forcément sous forme d’un rendu au donateur. Le don est comme un torrent, et l’eau reçue de l’amont va nourrir l’aval sans jamais remonter plus haut.
Je comprends aussi soudain que le plus grand don qu’elle m’ait fait, avec mon père, c’est la vie, et que ça, je ne pourrai jamais le leur rendre. Mais que la vie, je peux la rendre à la vie même, en ayant des enfants certes, mais aussi y réinjectant ce que j’en ai reçu de fondamental : l’amour, la joie et la création.
Je ne devais rien à mes parents. Ils m’avaient eux-mêmes offert ce qu’ils avaient reçu. Ils avaient été canal de la vie qui donne à foison et qui les traversait et j’en avais été bénéficiaire.
C’était à moi dorénavant, de laisser circuler cette manne, ce trésor, pour que d’autres puissent ainsi être heureux, soignés, aimés, et ceci sans distinction de dû ou de mérite.

C’était à moi désormais de devenir à la fois canal et passeuse de vie.

Car en donnant, je ne perds rien. Simplement je transmets.