3 jours seule

ou que faire de notre liberté ?

Elle a décidé de passer trois jours seule et pour cela elle a réservé une chambre d’hôtes.

Tout de suite, ce qui la surprend au réveil du premier matin, c’est qu’elle a du mal à organiser son emploi du temps. Par quoi commencer ? Prendre une douche ou trainer au lit ? Lire ou écrire ? Sortir ou rester dans sa chambre ? Tout l’intéresse, et rien ne l’aide à faire son choix.

Chez elle, ou dans son quotidien, il y a des repères, des contraintes, qui constituent autant de critères pour définir la prochaine action.

Elle a déjà pris conscience qu’avec son mari, elle se cale souvent sur ce qu’il veut lui, car lui ne semble avoir aucun mal à sentir et décider.

Mais pour elle, en elle, tout est beaucoup plus compliqué (ou subtil selon le regard que l’on veut y porter).

D’abord, effectivement, tant de choses l’intéressent. Elle sent par exemple que prendre une douche lui permettrait de se réveiller plus complètement, mais que rester un peu plus au lit serait un bon moyen de se prélasser dans la brume d’un réveil tranquille. Alors, que choisir ?

Elle a beau fouiller en elle parmi les zones décisionnaires, rien n’y fait. Elle passe par la pensée, le rationnel : elle soupèse le bien et le mal, les pour et les contre, mais ça ne lui donne pas plus d’informations. Si encore elle avait une tâche à accomplir, un rendez-vous à assurer, mais non, personne ne l’attend, elle est libre pour la journée.

Elle se tourne alors vers son ressenti, son désir, ses préférences dans le corps. Mais selon l’option, l’une ou l’autre partie se réjouissent ou sont frustrées, de façon égale.

Pas de réponse de ce côté-là non plus.

Ce qui complique les choses, c’est qu’elle a un peu peur de regretter son choix à la fin. Pas trop peur, mais un peu quand même. Peur d’être passée finalement à côté de ce qui lui aurait été essentiel et qu’elle n’aurait pas assez écouté.

Ces trois jours par exemple, elle les a choisis pour pouvoir écrire mais aussi pour passer du temps à son rythme. Et si à la fin elle n’avait rien fait de concret ? Si elle n’avait rien produit ? Etre à son rythme, est-ce ne rien faire ? Pas sûr…

Ce qu’elle observe avec clarté, c’est vraiment ce champ des possibles ouverts à l’intérieur, l’immense liberté dont elle jouit et la difficulté que c’est pour elle.

A chaque minute, elle peut décider de faire une chose ou une autre, et cela orientera sa vie d’une façon ou d’une autre et cela lui procurera une sensation ou une autre, une satisfaction ou une autre. Mais à chaque choix, elle devra renoncer à tous les autres et avec eux à toutes les satisfactions qui en auraient découlé.

Chaque choix fixe sa vie un peu plus sur le métier qui la tisse. Chaque choix est un point de couleur définitif sur l’ouvrage.

Cette liberté de composer à sa manière et point par point l’oeuvre de sa vie est grisante et même vertigineuse parfois.

Ce qu’elle sait aussi et qu’elle s’entraîne à faire, c’est à poser sur cette oeuvre un regard d’amour et de compassion. Un regard qui soit à la fois exigeant et indulgent. Un regard qui comprenne, qui critique avec justesse et avec ouverture. Si elle n’est pas arrivée à faire ce point sur le tissage, comment mieux le faire la prochaine fois qu’elle passera à cet endroit de l’ouvrage ? Qu’a-t’elle à apprendre pour y arriver ?

Elle sait qu’elle n’a qu’une seule occasion de créer la tapisserie de cette vie. Un passage unique, sans possibilité de défaire. Parfois, elle se sent pressée par cette idée. Mais le plus souvent, elle se dit que c’est une double responsabilité : réaliser ce qui lui semblera le plus juste et demeurer bienveillante envers tout ce qui aura été fait et qui ne pourra jamais être modifié dans le passé.

C’est une invitation à se mettre à l’ouvrage pour faire émerger de la trame de la vie l’oeuvre qui dira qu’elle a traversé le temps et qu’elle y aura laissé sa trace.