Je suis là, assise sur le bleu du grand sofa de velours, qui orne son cabinet d’ostéopathe.
Je suis venue pour une séance, mais au lieu de me dévêtir et de m’allonger sur la table de travail, je reste assise, accablée.
Pourtant, j’adore ce canapé. C’est insolite de trouver un meuble de salon dans un espace de soin. Mais justement, c’est ça qui me plaît. Ca dit la liberté d’être ce que l’on est dans nos espaces personnels, ceux où on décide pour soi. A chaque fois, je pose là mon sac, mon écharpe ou mon pull.
Ce jour-là, c’est moi que je dépose. Je suis lourde. J’ai besoin de parler. Je n’ai pas envie d’être touchée ; plutôt rejointe. Même entendue pourrait suffire, entendue dans ma complainte.
Je parle pour lui dire ce qui tourmente ma vie, je pleure mes larmes de colère et de désespoir.
C’est dur ce que je vis avec mon mari. Je voudrais que ça s’arrête, et ça ne s’arrête pas.
Alors, comme souvent, mon ami soignant se déroute pour venir me rejoindre. Il quitte sa trajectoire de séance d’ostéo et vient s’asseoir à côté de moi ; il s’amarre au radeau de velours bleu où je dérive.
Je lui raconte, je me plains. Ca me fait du bien, et en même temps, je suis tellement découragée d’en être encore là, de ne pas avancer.
Je voudrais tant que quelque chose se passe, que je trouve un cap, une issue, une solution.
Il m’écoute, presque sans un mot, attentif, concerné.
Et puis, à un moment, il prend la parole et il me dit : « Tu as conscience, n’est-ce pas, que je ne peux rien faire pour toi… » Je pense Oh non, ne dis pas cela. Si toi non plus tu ne peux rien faire, alors qui ?
La suite de sa phrase arrive, et calmement il ajoute : « Je ne peux rien faire, mais je suis là. »
Je reste stupéfaite par l’effet de ce qu’il vient de me dire. Il n’a rien proposé, il n’a aucune option. Mais ce qui est puissant, c’est qu’il vient d’admettre avec tranquillité qu’il n’y peut rien, qu’il y consent et que par conséquent, il ne va rien faire, mais qu’il ne s’enfuira pas non plus, il restera là. Dans la présence.
Il se dépose en vérité dans ce qui est, il s’accorde avec cela. Il ne s’agite pas, il ne conseille pas. Il harmonise son impuissance avec l’impasse de ce que je vis. Loin au-delà du contenu de mes paroles, il entre en résonance avec mon énergie.
Voilà. Avec ses mots, il est venu me rejoindre où j’étais, sans avoir peur de cette immobilité où je me noyais. Et c’est pour cette raison que ce moment perdu, ce moment de velours bleu solitaire et impuissant est devenu le moment où je me suis sentie le plus aidée de toute ma vie.