Notre fille vient de réussir son bac. Nous nous réjouissons toutes les deux, assises dans la voiture, en revenant du lycée.
Elle évoque avec émotion ces 3 années qui viennent de s’écouler, les copains qu’elle connait tous, la vie du lycée, cette société particulière où elle s’est sentie si à son aise, si intégrée.
L’année prochaine, elle va entrer dans une année de césure. C’est son choix. Et nous sommes d’accord.
Pensant à ces mois qui s’ouvrent devant elle, elle commence à parler du sentiment de vertige et d’angoisse face à ce « rond blanc », ce sont ses termes, qu’il va lui falloir remplir de plein de petits ronds de couleur, et qui sera plein à la fin de sa vie.
Je lui dis ce que je pense, qu’il faut être structuré au dedans de soi pour pouvoir supporter cette perspective du « rien » à compléter, à créer, à imaginer selon son désir. Il faut être solide pour laisser venir à soi ce qui gît au fond, le laisser advenir dans un espace laissé vacant.
Ensuite elle évoque comment elle se voit plus tard, avec son mari, dans sa maison, quand elle sera plus vieille. Ca la fait sourire.
Et soudain cette phrase : « Mais vous ne serez plus là pour me voir ! Vous serez morts ! »
Elle éclate en sanglots. Elle pleure, sans s’arrêter, contre moi.
Je lui dis que c’est vrai, que nous ne serons plus là. Que nous avons été là depuis qu’elle est née, que nous sommes encore là, et que nous lui avons donné beaucoup de choses pour qu’elle puisse un jour tenir debout et tenir sa vie elle-même, avec joie et confiance. Et que lorsque nous mourrons, elle pourra le supporter et continuer sa vie sans nous, une vie joyeuse et confiante.
Je la tiens contre moi, je caresse son visage, ses petits cheveux qui frisent en haut du front.
Et puis en moi, se dessine une réalité à laquelle je n’avais jamais eu accès : je ne serai pas là pour soutenir ma fille le jour où je m’en irai. Je ne pourrai pas la tenir dans mes bras, la cajoler, la serrer fort pour l’entourer de ma douceur et accueillir sa peine. Je ne pourrai pas faire ce que j’ai toujours fait, être là pour elle. Je serai dans le même temps la cause de son chagrin et absente pour l’atténuer.
Non, je ne pourrai pas consoler ma fille, ni aucun de mes enfants de leur tristesse lorsque la mort viendra pour moi.
En pensant à cela, les larmes me sont venues. J’ai trouvé ça triste. Et j’ai aussi trouvé ça normal de trouver ça triste.
Pour le moment, j’en suis là, dans cette découverte qui m’attriste et que j’ai à apprivoiser, à intégrer.
Je sais aussi que, comme toutes ces choses douloureuses à regarder en face, elle finira par trouver sa place dans mon coin tranquille. Ce coin où se côtoient les vérités denses de la vie, ces morceaux d’essentiels qui font sa richesse et sa beauté.