Je ne veux pas déranger

Combien de fois entendons-nous ou prononçons-nous cette phrase ?
Que veut-elle dire ? Que voulons-nous dire en disant cela ?
Elle se décline aussi en « J’ai l’impression de déranger », « Je n’aime pas déranger »…

Et lorsque quelqu’un nous la sert, nous répondons en général que non non, pas du tout, tu ne déranges pas, c’est un plaisir, tout va bien !
Est-ce cette réponse que nous avons besoin d’entendre à chaque reprise ? Qu’une personne atteste que nous ne sommes pas une charge, pas un fardeau, pas un ennui, pas un boulet en somme ?
Il semblerait que nous avons besoin de vérifier, encore et encore, que nous ne pesons pas trop sur l’existence d’autrui.

Bien sûr, il y a cette attention à mon prochain, à son confort, ce respect pour sa vie, son territoire. C’est une bonne chose pour vivre ensemble que de se soucier les uns des autres.
Mais quand même, il semblerait au fond que nous portons en nous cette idée tenace que nous sommes un poids trop lourd à supporter et que l’autre pourrait ne plus nous aimer, ne plus nous supporter et vouloir… quoi ? nous rejeter ? nous abandonner ? nous détester ?

En entendant ma fille me dire ces mots tout à l’heure, et en m’entendant tenter de la convaincre que tout était ok de mon côté, je me suis dit qu’il devait y avoir une autre option dans les réponses à apporter.

Qu’est-ce que cela changerait de dire : « En fait, oui, je me sens dérangée, un petit peu, parce que ta demande réoriente le cours de ma vie autrement que comme je l’avais prévu, mais c’est ok de l’être, je peux le supporter et ça ne m’empêchera pas de t’aimer. Parce que tu vois, tu ne peux pas faire que je ne t’aime pas. Alors, dérange-moi, occupe l’espace, et moi je saurai te dire quand ça me fait trop, et même là, même lorsque ce sera trop, je continuerai à t’aimer, indéfectiblement, obstinément, viscéralement. »

J’en suis là à cet instant, avec cette idée neuve de choisir de dire que oui, nous sommes dérangés, mais que c’est supportable et que la relation demeure intacte et l’autre pas moins aimable.

Peut-être est-ce une belle preuve d’amour envers l’autre de lui confier cela et une belle preuve d’amour envers soi-même de se dire que l’on peut déranger l’autre, un peu, pas trop, et que nous n’en resterons pas moins digne de son affection.