En ce moment, j’ai du temps, beaucoup de temps.
Les patients, les clients, sont en vacances pour la plupart, et mon agenda professionnel est peu rempli.
Lorsque je le regarde, j’y vois du blanc, j’y vois de l’espace, de la liberté pour créer, profiter.
Parfois, j’ai un peu peur. Peur de manquer d’argent, de manquer d’idées pour m’occuper. Peur de m’ennuyer, ou que ma vie ne serve à rien puisque je ne fais rien d’utile, de productif.
Moi qui, durant plus de 20 ans, avais environ 10 tâches à accomplir en même temps et savais toujours quoi faire ensuite, je me retrouve à vivre cette sensation grisante de ne jamais connaître à l’avance ce qui m’attend le moment d’après.
Parfois, le grisant devient vertige. Et si je n’avais plus rien à faire ? Si ma vie se vidait de sens ?
Mais non, à chaque fois un désir surgit : faire un gâteau, lire un article, regarder un film ou une série, appeler un ami, m’assoir et boire un thé, préparer un atelier, écrire, aller marcher au bord de l’océan.
Alors, lorsque je décide que c’est bien comme cela, que cet emploi du temps est un cadeau et pas une calamité, je peux me réveiller le matin et contempler le ciel orange depuis mon lit, à travers les arbres qui bordent le ruisseau.
Lorsque je suis tranquille avec cet état de fait, je peux prendre mon petit-déjeuner lentement, en regardant les mésanges, les sittelles et les chardonnerets se servir dans la mangeoire à la fenêtre.
Je travaille, un peu, une ou deux heures, et me voilà avec tout le reste de la journée offerte.
Je vais dans le jardin, je désherbe les massifs, je scrute les roses et les fleurs inconnues. Hier, j’ai découvert qu’un arbre du clergé émergeait dans le fouillis des hortensias, des agapanthes et des anémones du Japon. J’aime les regarder, j’aime apprendre leur nom, pour savoir avec qui je partage l’espace ici.
J’aime la paix d’être assise sous la voile d’ombrage pour déjeuner, enchaîner les parties de Scrabble avec notre fille, en vacances ici.
J’aime l’accompagner à la plage et entendre le bruit des enfants qui jouent. J’aime les parasols posés sur le sable, qui font comme des pois de couleur sur un grand tissu clair. J’aime voir les gens sauter dans les vagues.
Je rentre chez moi. Je me sens accueillie à chaque fois par la vieille porte de bois peinte en bleu, au bout de l’allée qui serpente. Je la vois.
Je marche vers notre maison. Je regarde les brebis qui s’occupent de leur parcelle d’herbe. J’enlève un peu du liseron qui grimpe sur les fuschias. Le vent adoucit tout. Je me sens bien.
Oui, lorsque je cesse d’écouter les voix du dedans qui me menacent ou m’effraient, alors je peux faire de mon temps vacant un temps de liberté, un temps de profit, un temps de chance et de gratitude d’avoir cette vie, dans ce lieu magique et beau, en lien avec ceux que j’aime.