Je me promène avec ma tante. C’est aussi ma marraine, elle compte pour moi. Je la trouve belle, sage, douce et en même temps cultivée et convaincue. Elle est curieuse des autres et du monde, elle s’intéresse à de nombreux sujets. Avec elle je me sens intéressante, écoutée, entendue.
Depuis quelques mois, elle a un cancer. Elle a 80 ans passés. Elle se bat, elle fait attention à son alimentation, à son hygiène de vie. Elle se fait aider pour s’en sortir.
Tout en marchant, nous parlons et je lui raconte qu’une de mes amies est malade elle aussi, et qu’elle se demande pourquoi cela lui arrive, pourquoi à elle.
Je comprends cette question, qui interroge la vie, le destin, l’idée d’une justice et le sentiment d’une injustice lorsqu’une telle difficulté vient percuter notre trajectoire.
Nous regardons les autres, ceux qui nous semblent épargnés, et nous ne comprenons pas ce que cela vient faire là, pourquoi nous en sommes atteints, nous, et pas eux.
Nous cherchons un sens, un pourquoi, qui, forcément, serait en lien avec nous, qui nous sommes, notre vie, notre passé peut-être, une dette à rembourser, un péché à expier. Bref, il nous faut retomber sur nos pattes psychiques et trouver une cause réelle et sérieuse pour expliquer ce qui nous arrive.
Je partage cela à ma tante, ce « Pourquoi moi ? » que l’on entend si fréquemment dans cette situation.
Elle sourit. Je la revois sourire, alors que nous remontons l’allée de tilleuls qui mène à l’église où son cercueil sera exposé quelques mois plus tard. Elle sourit et elle me dit : « C’est drôle, je ne me dis jamais cela. En fait, ce que je me dis, c’est plutôt « Pourquoi pas moi ? ». »
Cette réflexion pleine de bon sens m’a aidée à élargir ma pensée. Oui, pourquoi serais-je épargnée par ce qui affecte tant de monde ? Pourquoi serais-je épargnée par la souffrance, la maladie et surtout par la mort ? Il n’y a aucune raison.
Parfois, nous la trouvons, cette raison, dans nos actes, ou ceux des autres, et notre souffrance devient alors comme une juste conséquence, un destin, que quelqu’un, mais qui ?, aurait décidé pour nous.
Marion Muller-Collard, dans son livre « L’Autre Dieu », nous dit : « […] nous sommes la seule espèce vivante qui double sa peine à se sentir maudit en plus d’être malade. » (p.123)
Depuis ce moment avec ma tante, j’essaie, le plus possible, d’accepter ce fait que je ne peux pas tout contrôler et que l’on peut tomber malade même en ayant une vie exemplaire.
Que oui, cela peut arriver, sans que l’on trouve dans cette épreuve la justification par une quelconque sentence qui serait juste ou injuste.
Et quoi qu’il arrive, comme ma tante a si bien su le faire jusqu’à la fin, se tenir du côté de la vie et oeuvrer en croyant « qu’il est préférable que quelque chose soit plutôt que rien. » (ibid, p.116).