La joie d’être triste

Parfois, la tristesse révèle la joie

Cet été, je suis partie deux semaines en vacances dans un gîte.
La première semaine s’est déroulée en compagnie de mon mari Olivier et de 4 jeunes âgés de 15 à 24 ans.
Nous avons profité de ce moment avec eux, calant les activités selon leurs goûts, leurs choix, leur rythme. C’était bon d’entendre vibrer la maison de leurs musiques, de leurs conversations, de leurs mouvements, de leurs rires. Je les ai contemplés, je me suis gorgée de cette énergie et de cette beauté qui s’ignore et qui rayonne, de cette vie qui jaillit.

A la fin de cette première semaine, ils devaient repartir. Nous le savions, c’était organisé ainsi. Chacun avait des choses à faire avant la rentrée. L’aîné a ramené les 3 autres dans sa voiture. Ils étaient ravis de ce périple entre eux.
De notre côté, avec Olivier, nous nous réjouissions à l’avance de ce temps à deux offert au milieu de l’été.
Au cours des 25 années qui viennent de s’écouler, nous avons rarement pu goûter ainsi à plusieurs jours en tête à tête. Une aubaine !

Le samedi matin, les jeunes ont fait leur bagages, nous nous sommes dit au revoir, et combien nous avions aimé ce temps partagé. Ils sont montés dans la voiture, et ils sont partis.
Avec Olivier, nous les avons salués jusqu’à ce qu’ils tournent au coin de la rue du village où nous logions.

Ils ont disparu. Alors, une bulle de chagrin a éclaté en moi et j’ai fondu en larmes dans les bras d’Olivier.
Quelque chose dans mon coeur ou mon ventre se sentait arraché, dépouillé.
Une main invisible m’avait ôté un sens, un morceau essentiel.
Je venais de vivre un temps béni, et tout s’arrêtait là. C’était dur, vraiment.
J’étais triste, un coin de moi vide et en manque, et je pleurais.

Et dans le même instant, tissés dans le voile du chagrin, j’ai senti en moi des fils de joie très intense.

Joie d’avoir vécu cette semaine d’abord.
Mais surtout, je me sentais joyeuse d’être triste.
Chanceuse en fait.

Quelle chance me disais-je, quelle chance que cette tristesse ! Elle est le signe de l’attachement profond qui me lie à ces enfants que j’aime. Le signe du lien qui court entre eux et moi, la marque de l’amour qui coule entre nous.
Cette tristesse intense bourdonne de cette joie d’aimer et d’être aimée.

A un moment, je me suis dit « Cette tristesse, c’est le prix à payer pour la joie ».
Et puis non en fait. Mes enfants appellent ça « une disquette » : une phrase toute faite que l’on dit sans réfléchir.
J’ai trouvé ça absurde qu’on doive payer pour la joie. Je crois que l’amour n’a pas de prix. Ce chagrin n’était donc pas un prix que je payais pour l’amour ou le bonheur vécu. Non.
Ce chagrin, c’était l’amour même, sous une autre forme. C’était du bonheur aussi. Le bonheur d’accéder enfin dans ma vie à ce sentiment d’attachement qui fait que le lien demeure intact alors même que la personne n’est plus là.

Avant d’être en capacité d’attachement sécure, dans les situations de séparation, soit je sentais de la détresse, soit je ne sentais rien, pour me protéger.
Alors quelle joie, oui, de sentir enfin cette tristesse douce et tendre qui me parle en profondeur de l’amour tranquille que j’éprouve pour ceux qui me sont chers. Elle témoigne de leur présence vivante en moi, dans le lien que j’entretiens avec eux. Cette tristesse révèle la joie.