CARNET DE BORD

Je ne veux pas déranger

Publié le dimanche 10 mars 2024

Combien de fois entendons-nous ou prononçons-nous cette phrase ?
Que veut-elle dire ? Que voulons-nous dire en disant cela ?
Elle se décline aussi en « J’ai l’impression de déranger », « Je n’aime pas déranger »…

Et lorsque quelqu’un nous la sert, nous répondons en général que non non, pas du tout, tu ne déranges pas, c’est un plaisir, tout va bien !
Est-ce cette réponse que nous avons besoin d’entendre à chaque reprise ? Qu’une personne atteste que nous ne sommes pas une charge, pas un fardeau, pas un ennui, pas un boulet en somme ?
Il semblerait que nous avons besoin de vérifier, encore et encore, que nous ne pesons pas trop sur l’existence d’autrui.

Bien sûr, il y a cette attention à mon prochain, à son confort, ce respect pour sa vie, son territoire. C’est une bonne chose pour vivre ensemble que de se soucier les uns des autres.
Mais quand même, il semblerait au fond que nous portons en nous cette idée tenace que nous sommes un poids trop lourd à supporter et que l’autre pourrait ne plus nous aimer, ne plus nous supporter et vouloir… quoi ? nous rejeter ? nous abandonner ? nous détester ?

En entendant ma fille me dire ces mots tout à l’heure, et en m’entendant tenter de la convaincre que tout était ok de mon côté, je me suis dit qu’il devait y avoir une autre option dans les réponses à apporter.

Qu’est-ce que cela changerait de dire : « En fait, oui, je me sens dérangée, un petit peu, parce que ta demande réoriente le cours de ma vie autrement que comme je l'avais prévu, mais c’est ok de l’être, je peux le supporter et ça ne m’empêchera pas de t’aimer. Parce que tu vois, tu ne peux pas faire que je ne t’aime pas. Alors, dérange-moi, occupe l’espace, et moi je saurai te dire quand ça me fait trop, et même là, même lorsque ce sera trop, je continuerai à t’aimer, indéfectiblement, obstinément, viscéralement. »

J’en suis là à cet instant, avec cette idée neuve de choisir de dire que oui, nous sommes dérangés, mais que c’est supportable et que la relation demeure intacte et l’autre pas moins aimable.

Peut-être est-ce une belle preuve d’amour envers l’autre de lui confier cela et une belle preuve d’amour envers soi-même de se dire que l’on peut déranger l’autre, un peu, pas trop, et que nous n’en resterons pas moins digne de son affection.

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Bâtons de marche

Publié le dimanche 22 octobre 2023

J’ai fait l’acquisition de deux bâtons de marche. J’en avais envie et besoin.
Envie pour faciliter mes efforts pendant les randonnées, et besoin car je sens que mes genoux supportent moins bien le poids du corps dans les descentes.
Me voici donc lancée dans une marche de 15 km sur le sentiers des douaniers, en presqu’île de Crozon. Il y a pire endroit pour expérimenter de nouvelles pratiques me direz-vous.
Je sais une chose à propos de l’usage de ces bâtons, c’est que l’on doit avancer celui de droite en même temps que l’on allonge la jambe gauche, et inversement.
C’est le seul élément théorique que je connaisse et je m’y accroche pour commencer ma pratique.
Allons-y ! Jambe droite en avant, bâton gauche aussi ! Dès le deuxième pas, ça dysfonctionne. Je n’arrive pas à coordonner mes gestes. Mes jambes vont plus vite que mes bras. J’ai à peine le temps de lancer mon bâton devant moi que j’ai déjà fait deux pas. J’ai l'impression d’embrouiller mes quatre membres avec ces deux cannes qui n’en font qu’à leur tête.
Je me raisonne, je me discipline. Rien n’y fait.
La tentation est grande d’arrêter là l’expérience. Mais je dois poursuivre car sinon, que ferai-je de ces deux instruments censés m’aider mais simplement encombrants à l’heure qu’il est ?

Je persévère et décide soudain de faire à ma façon.
Au diable la leçon apprise mais pas intégrée !
Je poursuis avec mon rythme de trois pas pour un lancer de bâton. Je n’y vois pas d’intérêt sur le plan physique, mais au moins je ne me torture plus l’esprit avec une contrainte théorique qui ne s’harmonise pas avec mon corps.

Tout en marchant, nous parlons avec Olivier de tout ce temps que nous passons souvent à regarder des tutoriels, des vidéos explicatives, plutôt que de nous lancer dans nos propres expériences, quitte à en baver. C’est souvent là que nous apprenons le mieux, en essayant, en nous trompant, en recommençant, avec patience et persévérance.

Et puis, à un moment, je m’aperçois que ma marche a pris un nouvel élan. Je constate, surprise, que mon corps a compris comment utiliser les bâtons pour amplifier son effort, pour soutenir son poids, pour propulser sa dynamique. Effectivement c’est un geste alterné entre les bras et les jambes, mais les mouvements sont bien plus courts que ce que je pensais au début. Tout est bien plus simple et cohérent.
C’est incroyable ! Je n’ai rien fait de particulier, si ce n’est poursuivre mon chemin en faisant confiance à mon ressenti et en n’écoutant plus la théorie serinée par mon cerveau qui n’y connait rien et qui me répétait à l’envie la seule chose qu’il avait lue.

Mon corps a appris, il a compris avec ses moyens de corps, avec son ressenti, avec ses besoins, avec sa finesse de corps qui connait des choses que mon intelligence cognitive ignore.
J’ai alors pu profiter pleinement de la ressource de mes bâtons de marche. Ils ont pu, comme l’expression va bien, faire corps avec le mien, m’apportant ainsi un plaisir supplémentaire, en ôtant de ma randonnée le suppléments d’efforts qui d’ordinaire la ternit.
Mon corps a pu apprendre par lui-même car je lui ai laissé le temps de le faire.
J’ai été heureuse et fière d’avoir lâché et fait confiance, de m’être fichu la paix et d’avoir écouté mon rythme. J’ai bien plus appris qu’en regardant tous les tuto du monde car j’ai aussi fait la connaissance avec de belles choses à mon sujet.

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Pourquoi (pas) moi ?

Publié le vendredi 28 juillet 2023

Je me promène avec ma tante. C’est aussi ma marraine, elle compte pour moi. Je la trouve belle, sage, douce et en même temps cultivée et convaincue. Elle est curieuse des autres et du monde, elle s’intéresse à de nombreux sujets. Avec elle je me sens intéressante, écoutée, entendue.
Depuis quelques mois, elle a un cancer. Elle a 80 ans passés. Elle se bat, elle fait attention à son alimentation, à son hygiène de vie. Elle se fait aider pour s’en sortir.

Tout en marchant, nous parlons et je lui raconte qu’une de mes amies est malade elle aussi, et qu’elle se demande pourquoi cela lui arrive, pourquoi à elle.
Je comprends cette question, qui interroge la vie, le destin, l’idée d’une justice et le sentiment d’une injustice lorsqu’une telle difficulté vient percuter notre trajectoire.
Nous regardons les autres, ceux qui nous semblent épargnés, et nous ne comprenons pas ce que cela vient faire là, pourquoi nous en sommes atteints, nous, et pas eux.
Nous cherchons un sens, un pourquoi, qui, forcément, serait en lien avec nous, qui nous sommes, notre vie, notre passé peut-être, une dette à rembourser, un péché à expier. Bref, il nous faut retomber sur nos pattes psychiques et trouver une cause réelle et sérieuse pour expliquer ce qui nous arrive.

Je partage cela à ma tante, ce « Pourquoi moi ? » que l’on entend si fréquemment dans cette situation.
Elle sourit. Je la revois sourire, alors que nous remontons l’allée de tilleuls qui mène à l’église où son cercueil sera exposé quelques mois plus tard. Elle sourit et elle me dit : « C’est drôle, je ne me dis jamais cela. En fait, ce que je me dis, c’est plutôt « Pourquoi pas moi ? ». »
Cette réflexion pleine de bon sens m’a aidée à élargir ma pensée. Oui, pourquoi serais-je épargnée par ce qui affecte tant de monde ? Pourquoi serais-je épargnée par la souffrance, la maladie et surtout par la mort ? Il n’y a aucune raison.
Parfois, nous la trouvons, cette raison, dans nos actes, ou ceux des autres, et notre souffrance devient alors comme une juste conséquence, un destin, que quelqu’un, mais qui ?, aurait décidé pour nous.
Marion Muller-Collard, dans son livre « L’Autre Dieu », nous dit : « […] nous sommes la seule espèce vivante qui double sa peine à se sentir maudit en plus d’être malade. » (p.123)

Depuis ce moment avec ma tante, j’essaie, le plus possible, d’accepter ce fait que je ne peux pas tout contrôler et que l’on peut tomber malade même en ayant une vie exemplaire.
Que oui, cela peut arriver, sans que l’on trouve dans cette épreuve la justification par une quelconque sentence qui serait juste ou injuste.
Et quoi qu’il arrive, comme ma tante a si bien su le faire jusqu’à la fin, se tenir du côté de la vie et oeuvrer en croyant « qu’il est préférable que quelque chose soit plutôt que rien. » (ibid, p.116).

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Un ami en visio

Publié le dimanche 2 juillet 2023

Hier, j’ai contacté mon ami en visio. J’avais cette sensation qui revient parfois de ne pas trouver de sens à ce que je fais. Elle me prend et pollue mes journées. Je regarde chacune de mes actions ou de mes projets avec un « bof » qui revient inlassablement à chaque idée.
J’avais besoin de son aide pour décoller de ce sentiment et pourquoi pas, trouver un axe, une voie, une issue.

Bien sûr, ça ne s’est pas passé exactement ainsi.
Mais ce que j’ai trouvé est si précieux en fait.
Pendant une heure nous avons parlé, et compris que nous ne sommes pas seuls à vivre ces moments absurdes où tout semble fade. Où nous ternissons tous nos élans pour les désenchanter.

Il m’a écouté. Il a su me dire quand il ne trouvait pas comment m’aider.
Il me souriait.
Je me sentais vue. Je me sentais prise en compte et au sérieux.
C’est ce qui m’a permis peu à peu, au fil de la conversation, de sourire à mon tour, de prendre de la hauteur.
J’ai pu progressivement me distancier du guidon où mon nez restait collé depuis quelques jours.
J’ai pu retrouver de la clarté, de la patience, de la tolérance.
Je me suis sentie à nouveau en amitié avec moi-même, et plus en paix avec ces failles du temps où je me sens à la fois bloquée et en urgence d’avancer.
Il m’a offert quelques mots clés « Tu es à la fois collée et en colère » qui sont devenus comme un trésor, ou un bonbon à savourer doucement.

Nous avons fini par rire de nous, de nos errements, de nos pieds qui pataugent dans le gluant de la vie.
Nous nous tenions la main dans cet endroit pas drôle, mais nous pouvions de nouveau savoir qu’il y a une suite à tout ce qui nous arrive et qu’il y a quelqu’un pour nous et avec nous sur le chemin.

Nous avons raccroché, et depuis hier, je suis dans le bonheur de cet échange et de cette amitié qui infuse sa joie dans le fragile de nos vies.

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Ma playlist s'appelle "Ce que j'aime"

Publié le lundi 8 mai 2023

Mon nouveau portable est équipé de cette fonction magique permettant d’identifier un morceau musical en train d’être diffusé. On active l'appli, on dirige le téléphone vers la source audio, même éloignée, même dans un cinéma où l’on aime la bande originale, et hop ! le morceau s’affiche sur l’écran et l’on peut alors l’enregistrer dans sa bibliothèque musicale.
Depuis quelques mois, j’ai donc accumulé, comme des papillons dans un filet, une série de titres divers et variés, captés au gré de mes découvertes.
Ce matin, j’ai décidé de les regrouper dans une playlist pour pouvoir les écouter ensemble sans avoir à les rechercher dans l’éparpillement où ils se trouvaient.

J’ai appelé ma playlist « Ce que j’aime ».

En y repensant dans l’après-midi, j’ai été émue. Emue de voir le chemin parcouru.
J’ai passé tant d’années à ne pas savoir ce que j’aimais ; à me référer à ce qui plaisait aux autres, à ne pas faire confiance à ce qui me faisait tressaillir ou m’émouvait.
Je ne savais pas suivre le fil ténu de mon désir, l’écouter, l’entendre même.

L’été de mon effondrement, j’ai passé un mois à me replonger dans la mémoire émotionnelle de mon enfance. J’ai écrit des pages de « Je me souviens », en m’efforçant de n’y noter que les souvenirs chargés d’affects, qu’ils soient positifs ou négatifs.
A émergé alors une myriade de petites traces laissées en moi par des événements de diverses importances.
J’ai été émue de m’apercevoir combien j’avais été vivante durant mon enfance, combien j’avais ressenti, sans bien savoir quoi faire de ces indications du corps, ces bien-êtres ou mal-êtres induits par le parcours de ma vie.
Je n’avais pas appris à me fier à ce grand langage de l’émotion, de l’intuition, du désir, du penchant, de l’attirance, tout ce vocabulaire sans mots qui parlait de mon identité, de l’unicité de ma personne.

J’ai parcouru ce chemin d’apprentissage de cette nouvelle langue, et aujourd’hui je m’entends et je me comprends bien mieux. Je sais dire ce que j’aime, ce qui m’attire et ce qui ne me plaît pas.
Je sais écouter le son ténu de mon coeur qui s’ouvre ou se retire. Je prends tout cela au sérieux et me suis promis de ne plus jamais moquer ou juger ces appels parfois presque silencieux mais qui proviennent de ma part la plus intime.

Alors, que j’aie décidé de nommer ma playlist « Ce que j’aime » m’émeut car c’est au fond le symbole de la victoire que j’ai remportée sur l’étouffement du vivant en moi.

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Notre besoin de reconnaissance

Publié le mercredi 5 avril 2023

Je suis au téléphone avec une amie artiste. Elle me parle du malaise qu’elle éprouve lorsqu’elle se voit poster certaines de ses oeuvres sur les réseaux sociaux dans l’espoir que des personnes « aiment » son travail. Elle me partage combien elle est gênée d’en être là pour se sentir reconnue.

Je l’écoute et je lui réponds que je trouve cela tellement naturel d’avoir envie d’être reconnue et de faire en sorte de l’être, d’autant plus lorsqu’on a justement manqué de reconnaissance dans notre enfance. Une part de nous n’a pas eu sa dose et réclame, parfois maladroitement, son du.
Je lui exprime ma colère de voir combien elle maltraite sa part enfant qui souhaite simplement être vue, et bien vue. Nous avons tant besoin de tendresse à cet endroit-là, pour ne pas, une fois de plus, être rabroué.

Tandis que je lui parle de tout cela, un petit souvenir du matin émerge, qui me concerne, justement à cet endroit fragile et sensible.
Ce matin, j’ai voulu écrire à ma soeur, qui va venir avec sa famille occuper notre maison dans quelques jours, que j’avais lavé toutes les vitres pour eux. J’étais fière de mon travail, et j’avais envie de le lui dire, pour qu’elle le voie, pour qu’elle reconnaisse ce que j’avais accompli pour leur faire plaisir.
Et puis je me suis réfrénée, en me chuchotant quelques mots qui voulaient dire « tu te prends pour qui ? » « ça ne se fait pas de se montrer comme ça » « sois plus humble ». Bref, toutes ces paroles terribles qui m’ont fait, une fois de plus, replier mes mots et m’abstenir de me montrer.

Alors, tout en parlant à mon amie, je me suis invitée à contempler avec tendresse ma propre part enfantine toute fière d’avoir fait quelque chose de bien pour l’autre et heureuse de pouvoir le lui annoncer pour recevoir des félicitations.
Je me suis dit que si je ne me donne pas d’abord cette reconnaissance à laquelle j’aspire, si je me fais taire et me rejette en m’humiliant ou m’assommant avec une morale d’un autre temps, si je ne m’encourage pas à me montrer dans la lumière, avec fierté et joie, alors personne ne m’offrira cet accueil inconditionnel. Et en tout cas, je ne pourrai certainement pas le reconnaître lorsqu’on me le témoignera.

Je ne fais de mal à personne en montrant ce dont je suis fière et en revendiquant ma réussite, y compris dans les petits recoins de la vie quotidienne. Non, vraiment, je ne blesse personne, et surtout, je laisse enfin la place à celle qui, en moi, la mérite depuis toujours. La place d’exister telle qu’elle est, au grand jour.

En raccrochant le téléphone, j’ai ouvert ma boîte mail, pour écrire à ma soeur que j’avais nettoyé les vitres et que j’en étais ravie.
Tout simplement.

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Un ressort caché de la culpabilité

Publié le mardi 14 mars 2023

Lorsque nous avons annoncé à nos enfants notre décision de partir vivre en Bretagne, leurs réactions ont été variées et intenses.
L’une d’entre eux a tout particulièrement exprimé sa colère, sa douleur de voir « disparaître » leur maison d’enfance, leur base, leur repère.
Voir souffrir mon enfant, et qui plus est, de mon fait, était difficile, et, bien sûr, a déclenché une vague de culpabilité en moi.
Je me sentais coupable de leur faire du mal, de les arracher à leur cocon, de ne penser qu’à ma personne, d’être égoïste en faisant passer mon projet avant leur confort.

L’intensité de ce vécu est devenu si forte que j’en suis même arrivée à imaginer un scénario où je resterais à Lyon dans un appartement en location jusqu’à ce que nos deux dernières soient installées.
Tout tournait autour de ce sentiment et de la façon de le faire cesser, en réparant les dégâts que j’avais causés.

Un jour crucial, notre fille nous a enjoint « Il n’est pas question que vous utilisiez ma colère pour renoncer à votre projet ». Oui, c’est vrai, nous aurions été inconsistants si nous avions pris cette excuse pour faire machine arrière. Nous devions faire face à ces réactions légitimes en restant stables et solides dans notre projet.

C’est à ce moment-là que je me suis aperçue qu’il y avait un ressort caché à mon sentiment de culpabilité.
Tant que je me centrais sur lui, je négligeais ce qui se passait chez ma fille. Je me racontais que me sentir coupable revenait à me préoccuper de sa souffrance, mais non.
Me sentir coupable et le montrer haut et fort, c’était me mettre au milieu et tenter d’attirer la compassion, l’absolution, le pardon. Grâce à ma culpabilité, une part de moi essayait de dérouter la colère de mon enfant et de l’apaiser.

Alors, j’ai décidé de ne plus me sentir coupable de ce que ma fille ressentait, et de m’intéresser entièrement à ce qu’elle vivait, sans me mettre dans la balance.
J’ai essayé de quitter mon monde intérieur et ses réflexes auto centrés, pour entendre pleinement les éclats douloureux et les ressentis pénibles manifestés par l’autre à mon encontre.

Oui, c’était bien nous qui avions pris cette décision qui allait avoir tant de répercussions dans leurs vies. Mais c’était eux qui ressentaient tout cela et la moindre des choses était de les entendre pour ce qu’ils étaient : des personnes entières et sensibles qui avaient des choses à nous faire savoir.

La culpabilité n’était d’aucun secours dans cette situation.

Mais la compassion, si. Ecouter et comprendre leur souffrance, croire en eux et en leur capacité à la traverser, leur souhaiter d’aller mieux au-delà de ce moment, être là.

Et les aimer, inconditionnellement et indéfectiblement tout en maintenant intacte l’estime pour nous-mêmes et pour notre beau projet.

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Profitez-en !

Publié le vendredi 18 novembre 2022

Quand nos enfants étaient petits, souvent les gens nous disaient « Profitez ! Ils grandissent si vite qu’un jour on se retourne et ils sont grands et c’est fini ». Horreur ! Comment profiter de mes enfants en gérant le quotidien, en travaillant à temps plein, en tenant ma maison et en me formant à un nouveau métier ? C’était culpabilisant. Je me tourmentais en me disant que je vivais donc là mes meilleures années sans pouvoir en « profiter » et avec la sombre perspective de me retourner un jour sur ma vie pour constater que j’étais passée à côté.
Et puis j’ai compris que les gens qui disaient cela souvent n’y arrivaient pas eux-mêmes et me déléguaient de réussir ce qu’ils échouaient à faire. Trop simple !
En fait, en m’invitant à profiter, n’était-ce pas simplement qu’ils regrettaient ce temps passé et qu’il me souhaitaient de ne pas me retrouver un jour dans la même nostalgie qu’eux ?

Je me disais aussi « Ca veut dire quoi profiter ? »
« Arrêter le temps ? » Impossible.
« Être pleinement conscient de tout ce qui se passe à chaque minute ? » Un peu compliqué entre le gratin à cuisiner, les couches à changer, les devoirs à faire faire.
« Couver mes enfants d’un regard éperdu d’amour et d’admiration à tout instant ? » Difficile lorsqu’il m’arrivait parfois de vouloir tout poser là et de prendre le large pour un week-end (ou toute la vie !).

Par la suite, et avec le temps j’ai observé que le ressenti de « profiter » apparaissait lorsque je m’arrêtais, je me taisais et je contemplais en regardant vraiment. Contempler en me laissant reposer dans l’instant, en me laissant traverser et imprégner par tout. Et puis à un moment, je prenais une photo intérieure. Un petit clic en interne qui imprime sur la pellicule tout ce que je perçois du moment, ses couleurs, ses odeurs, ses bruits, l’énergie qui flotte, et puis aussi mon ressenti, mes sensations internes. Tout cela gravé sur la plaque sensible de ma mémoire pour dire que oui, j’y étais vraiment, pleinement. 

J’avais fait cela le jour de notre mariage : debout devant l’assemblée à l’église, je devais lire le mot d’accueil. Et là, j’ai fait une pause. Cette journée était un tourbillon et j’avais conscience que je risquais de me lever le lendemain en me disant que je n’avais pas vécu pleinement le temps. Alors, plutôt que d’entamer la lecture, je me suis tue, j’ai respiré calmement, et j’ai regardé tous ces gens rassemblés là, pour nous, dans la petite église. Je les ai regardés vraiment, et je me suis dit « Voilà, j’y suis, c’est maintenant, c’est ce jour et ça ne sera plus jamais cela ensuite. Et c’est merveilleux »

Alors j’ai pris une photo intérieure et aujourd’hui où j’écris ceci, une trentaine d’années plus tard, ce moment demeure le seul dont je me souvienne clairement du jour de notre mariage.

Profiter pour moi c’est ça : participer au vivant et parfois, l’espace d’un instant, m’arrêter, respirer, ouvrir tous mes regards… puis repartir dans le mouvement, une photo en plus dans l’album de ma vie.

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Une alèse en coton

Publié le vendredi 23 septembre 2022

Je regarde l'alèse de coton que je viens de laver. Il faudrait que je la remette sur le lit. Mais pour qui ferais-je cela ? Ma fille est partie hier vers sa vie. Elle a pris un train dans une gare où je l’ai accompagnée. Elle était heureuse. Elle avait peur. J’étais heureuse. J’étais triste.

Hier soir, au moment de dîner, Olivier me dit C’est le premier soir. Le premier soir sans enfant, notre premier soir de parents dont les enfants se sont envolés, de parents qui vont rester seuls jusqu’au bout de la vie.

Ca n’était pas la première fois bien sûr que nous dinions en tête à tête, et pas la première fois que nos enfants partent de la maison pour quelques jours ou quelques mois.

Et sans doute qu’ils reviendront souvent nous voir, passer du temps ici et avec nous.

Mais au niveau du subtil, tous les deux avons ressenti qu’hier était un jour inaugural. C’était, oui, la première fois que tous nos enfants étaient partis pour de bon, pour s’en aller vivre un épisode de construction de leur vie d’adulte. Et lorsqu’ils reviendront ce sera autre chose, une autre posture, une autre énergie. Ils sont adultes maintenant et nous ne sommes plus leur pourvoyeurs de soin au quotidien, leurs éducateurs responsables.

Nous avons échangé tous les deux sur nos ressentis. Olivier a parlé de peur, celle du vieillissement qui s’annonce, de la solitude dans cette nouvelle maison qui soudain lui semblait trop grande, avec ses deux chambres vides et le silence de l’absence de nos filles, présentes le mois écoulé.
J’ai quant à moi évoqué ma tristesse et le désoeuvrement de ma part maternante. Qui vais-je entourer de mon attention, de ma tendresse de mère ? Qui vais-je contempler avec cet amour inconditionnel que je réserve à ma seule progéniture ? Quand vais-je sentir mon coeur tressaillir en entendant leurs pas descendre l’escalier ?

Il n’est qu’à eux ce jaillissement, que pour eux cet élan de chair et de ventre. Que vais-je faire de toute cette intention, de cette chaleur et de mes bras ? Je me sens bancale soudain.

Je parle ici les mots de tant de mères, depuis tant de siècles. A mon tour de traverser cette réalité.

Hier soir, je nous regardais échanger nos sentiments, nos affects face à cette étrange et pourtant si commune nouveauté. Je nous regardais faire face à cette douleur banale avec conscience. Douleur banale qui ne l’était pas tant que cela pour nous qui la vivions pour la première fois. Mais nous rejoignions ainsi la cohorte des parents esseulés après tant d’années (27 en ce qui nous concerne) au service de nos enfants.

Alors ce matin, devant mon étendage, l'alèse de coton dans les mains et dans le coeur ce poids de l’absence et de l’inéluctable solitude maternelle, j'ai décidé de laisser la place à cette douleur, de l’accueillir, de la pleurer peut-être. Elle m’est nécessaire, je le sais, pour m’aider à me transformer et à passer doucement à une nouvelle étape de la vie.

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La fée d'Abbeville

Publié le mercredi 29 septembre 2021

En ce moment je me questionne sur mon avenir professionnel. Je voudrais oser aller vers du nouveau, franchir un pas, me tourner vers d’autres parts de moi pour qu’elles aussi oeuvrent dans ma vie. Ça tourne au-dedans, et quand c’est comme ça, j’écris, je parle, j’écoute, je pense, je rêve. Et comme souvent, la vie se met en route avec moi et me propose des signes ou des moments de magie.

Et voilà donc qu’hier, j’ai rencontré une fée.
Comme je suis en vacances à Abbeville, elle s’était déplacée pour me rendre une petite visite.

A force de marcher pour découvrir la ville, j’étais fatiguée. Dans mes souhaits de vacances, il y avait « Aller chez un coiffeur inconnu » et je me suis dit que le moment était venu. Sur le trottoir d’en face, j’ai vu un salon qui m’a fait envie. Un salon tout simple, mais avec ses grandes vitrines et ses murs clairs, j’avais l’impression qu’il était plein de lumière.
Il était vide, la coiffeuse était seule.
Je suis entrée. Elle avait de la place.
Je me suis installée et nous avons commencé à parler.

Elle m’a expliqué qu’elle remplaçait la patronne pendant son congé maternité, qu’elle ne voulait pas du CDI proposé ensuite, car elle veut rester libre et maître de sa vie.
Elle est coiffeuse depuis ses 15 ans, mais en plus, au milieu de ce long parcours, elle a déjà travaillé dans une auberge de l’Ain où il fallait se rendre en raquettes l’hiver, elle a été aide soignante en maison de retraite sans avoir de diplôme. La directrice, dubitative, l’avait prise 15 jours à l’essai et finalement, elle est restée 6 mois. Puis elle a été embauchée comme palefrenière alors qu’elle n’avait jamais approché de chevaux de sa vie.
Elle a aussi répondu à une annonce pour repeindre une façade de maison et elle a été prise.
Et après ce contrat de remplacement, elle veut ouvrir un salon dans un petit village, pour avoir peu de frais et ne travailler que le temps dont elle a besoin.

J’écoutais cette femme d’un peu plus de 50 ans, et j’étais ravie d’entendre la liberté qui se dégageait de ses propos. Bien sûr, ça n’est pas toujours facile de vivre comme cela, connectée en permanence sur ce qui lui correspond, au jour le jour. C’est exigeant parfois. Mais elle semblait droite dans sa vie, debout sur l’axe de ses valeurs et de ses choix.

Je suis ressortie joyeuse et pleine d’espérance. Joyeuse car j’aimais la coupe qu’elle m’avait faite. C’était comme si tout en me parlant, et en agitant ses ciseaux/baguette, elle avait fait émerger de mes cheveux quelque chose qui parlait de moi. Et pleine d’espérance car sans donner aucun conseil et simplement en témoignant de son chemin, elle m’avait montré combien la vie est possible en fait ; et que souvent, nous manquons d’audace à franchir les étapes qui nous font envie.

D’ailleurs, juste avant de sortir, elle m’a raconté ce petit échange qu’elle avait eu avec un client de 80 ans.
Elle lui avait demandé : « Si vous aviez une baguette magique, qu’est ce que vous referiez différemment dans votre vie ? »
Il lui avait répondu : « Je prendrais des risques. »

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V.A.E.

Publié le mardi 24 août 2021

J’ai fait l’acquisition d’un vélo électrique avec lequel je suis allée jusqu’à une chapelle à quelques kilomètres au-dessus de chez moi. Grâce à l’assistance, j’ai pu modérer mon effort afin de gravir la côte sans m’exténuer.
Arrivée là-haut, je me suis assise au pied de la vieille croix de fer forgé et j’ai savouré ce moment de beauté et de fierté.
Une petite voix a soudain émergé pour remettre en question ce sentiment « Puis-je être fière de ce que j’ai accompli avec de l’aide ? »
Poursuivant mon chemin intérieur, j’ai peu à peu mis en lumière une croyance-héritage qui dit qu’il faut certes faire des efforts pour obtenir ce que l’on désire, mais que se faire aider et ne pas forcer davantage n’est pas glorieux.

Je n’ai pas appris que l’on peut se faire la vie douce.
Je n’ai pas appris que le plaisir qui en découle est aussi délicieux.
Je n’ai pas appris que l’on a aussi le droit d’être fier de ce que l’on accomplit sans souffrir.

Assise là, au pied de la belle croix de fer forgé, je me suis alors dit que VAE veut certes dire Vélo à Assistance Électrique, mais qu’en l’occurence, l’acronyme pouvait être « Voici une Aide à Exister »
Une aide pour les moments où ça devient trop dur et où on a besoin de soutien pour avancer ; une assistance pour aller plus loin et se donner le droit d’accomplir des projets sans s’abimer ou se détruire ; un soutien adéquat et que l’on sollicite si besoin, en dosant soi-même ce que l’on sent nécessaire.
J’étais là, avec le soleil et les grillons, et j’ai compris que c’est l’effort qui est important et qui peut donner un sentiment de dépassement de soi et de fierté, mais que la souffrance elle, ne doit jamais être un critère de valorisation de nos réalisations.

Lorsque je fais un effort pour accomplir un projet, la réalisation aura le goût de l’énergie que j’y aurai insufflée. Si je souffre, je n’y gagnerai rien de plus, et qui plus est, je devrai consacrer une part de mon énergie justement à lutter contre la douleur, plutôt qu’en faveur du projet.
Parfois, je n’ai pas le choix. Mais parfois si, et je trouve important qu’alors je fasse en sorte de demeurer dans la zone de l’effort, en prenant soin de mes limites.

J’ai repris mon vélo, et, tout en retournant chez moi, j’ai décidé de continuer à prendre appui sur mes Aides à Exister, à chaque fois que ce serait utile et bon pour moi.

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Je ne pourrai pas consoler ma fille

Publié le mardi 13 juillet 2021

Notre fille vient de réussir son bac. Nous nous réjouissons toutes les deux, assises dans la voiture, en revenant du lycée.
Elle évoque avec émotion ces 3 années qui viennent de s’écouler, les copains qu’elle connait tous, la vie du lycée, cette société particulière où elle s’est sentie si à son aise, si intégrée.
L’année prochaine, elle va entrer dans une année de césure. C’est son choix. Et nous sommes d’accord.
Pensant à ces mois qui s’ouvrent devant elle, elle commence à parler du sentiment de vertige et d’angoisse face à ce « rond blanc », ce sont ses termes, qu’il va lui falloir remplir de plein de petits ronds de couleur, et qui sera plein à la fin de sa vie.
Je lui dis ce que je pense, qu’il faut être structuré au dedans de soi pour pouvoir supporter cette perspective du « rien » à compléter, à créer, à imaginer selon son désir. Il faut être solide pour laisser venir à soi ce qui gît au fond, le laisser advenir dans un espace laissé vacant.
Ensuite elle évoque comment elle se voit plus tard, avec son mari, dans sa maison, quand elle sera plus vieille. Ca la fait sourire.

Et soudain cette phrase : « Mais vous ne serez plus là pour me voir ! Vous serez morts ! »

Elle éclate en sanglots. Elle pleure, sans s’arrêter, contre moi.

Je lui dis que c’est vrai, que nous ne serons plus là. Que nous avons été là depuis qu’elle est née, que nous sommes encore là, et que nous lui avons donné beaucoup de choses pour qu’elle puisse un jour tenir debout et tenir sa vie elle-même, avec joie et confiance. Et que lorsque nous mourrons, elle pourra le supporter et continuer sa vie sans nous, une vie joyeuse et confiante.
Je la tiens contre moi, je caresse son visage, ses petits cheveux qui frisent en haut du front.

Et puis en moi, se dessine une réalité à laquelle je n’avais jamais eu accès : je ne serai pas là pour soutenir ma fille le jour où je m’en irai. Je ne pourrai pas la tenir dans mes bras, la cajoler, la serrer fort pour l’entourer de ma douceur et accueillir sa peine. Je ne pourrai pas faire ce que j’ai toujours fait, être là pour elle. Je serai dans le même temps la cause de son chagrin et absente pour l’atténuer.

Non, je ne pourrai pas consoler ma fille, ni aucun de mes enfants de leur tristesse lorsque la mort viendra pour moi.
En pensant à cela, les larmes me sont venues. J’ai trouvé ça triste. Et j’ai aussi trouvé ça normal de trouver ça triste.

Pour le moment, j’en suis là, dans cette découverte qui m’attriste et que j’ai à apprivoiser, à intégrer.

Je sais aussi que, comme toutes ces choses douloureuses à regarder en face, elle finira par trouver sa place dans mon coin tranquille. Ce coin où se côtoient les vérités denses de la vie, ces morceaux d’essentiels qui font sa richesse et sa beauté.

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La fois où je me suis sentie le plus aidée

Publié le lundi 3 mai 2021

Je suis là, assise sur le bleu du grand sofa de velours, qui orne son cabinet d’ostéopathe.
Je suis venue pour une séance, mais au lieu de me dévêtir et de m’allonger sur la table de travail, je reste assise, accablée.
Pourtant, j’adore ce canapé. C’est insolite de trouver un meuble de salon dans un espace de soin. Mais justement, c’est ça qui me plaît. Ca dit la liberté d’être ce que l’on est dans nos espaces personnels, ceux où on décide pour soi. A chaque fois, je pose là mon sac, mon écharpe ou mon pull.

Ce jour-là, c’est moi que je dépose. Je suis lourde. J’ai besoin de parler. Je n’ai pas envie d’être touchée ; plutôt rejointe. Même entendue pourrait suffire, entendue dans ma complainte.
Je parle pour lui dire ce qui tourmente ma vie, je pleure mes larmes de colère et de désespoir.
C’est dur ce que je vis avec mon mari. Je voudrais que ça s’arrête, et ça ne s’arrête pas.

Alors, comme souvent, mon ami soignant se déroute pour venir me rejoindre. Il quitte sa trajectoire de séance d’ostéo et vient s’asseoir à côté de moi ; il s’amarre au radeau de velours bleu où je dérive.
Je lui raconte, je me plains. Ca me fait du bien, et en même temps, je suis tellement découragée d’en être encore là, de ne pas avancer.
Je voudrais tant que quelque chose se passe, que je trouve un cap, une issue, une solution.

Il m’écoute, presque sans un mot, attentif, concerné.

Et puis, à un moment, il prend la parole et il me dit : « Tu as conscience, n’est-ce pas, que je ne peux rien faire pour toi… » Je pense Oh non, ne dis pas cela. Si toi non plus tu ne peux rien faire, alors qui ?
La suite de sa phrase arrive, et calmement il ajoute : « Je ne peux rien faire, mais je suis là. »

Je reste stupéfaite par l’effet de ce qu’il vient de me dire. Il n’a rien proposé, il n’a aucune option. Mais ce qui est puissant, c’est qu’il vient d’admettre avec tranquillité qu’il n’y peut rien, qu’il y consent et que par conséquent, il ne va rien faire, mais qu’il ne s’enfuira pas non plus, il restera là. Dans la présence.

Il se dépose en vérité dans ce qui est, il s’accorde avec cela. Il ne s’agite pas, il ne conseille pas. Il harmonise son impuissance avec l’impasse de ce que je vis. Loin au-delà du contenu de mes paroles, il entre en résonance avec mon énergie.

Voilà. Avec ses mots, il est venu me rejoindre où j’étais, sans avoir peur de cette immobilité où je me noyais. Et c’est pour cette raison que ce moment perdu, ce moment de velours bleu solitaire et impuissant est devenu le moment où je me suis sentie le plus aidée de toute ma vie.

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Une caresse en passant

Publié le mardi 26 janvier 2021

J’anime un atelier de Journal Créatif en ligne.
Une dizaine de participants s’activent chez eux, et dans les vignettes vidéo affichées à droite de mon écran.
Ils créent suivant les consignes que je leur donne, des collages, des textes, des dessins.

Je les regarde, absorbés qu’ils sont par leur réalisations.

L’une d’entre elle doit manquer de lumière, car je vois soudain son compagnon s’approcher avec une lampe. Il contourne le bureau où elle est installée, s’approche de l’écran, sans doute pour accéder à la prise. L’image tremble, il heurte quelques objets pour parvenir à ses fins.
Voilà, la lampe est branchée, il l’allume, positionne le faisceau au mieux, puis il se dégage pour repartir à ses occupations.

Il passe près d’elle ; je la vois qui le regarde avec gratitude, lui sourit. Peut-être lui dit-elle quelques mots, mais le micro est coupé, je n’entends rien.

Et puis soudain, un geste, un temps de merveille qui éclot dans ce moment banal. C’est lui, qui lève sa main et lui caresse doucement la joue, comme ça, une seconde en passant, une éternité de délicatesse, de pétales tendres déposés sur un visage.

Le temps que je comprenne ce qui vient de se passer, la vie a repris son cours, il est déjà loin dans la pièce.

Moi, je reste là, saisie et bouleversée, devant mon écran. Quelle chance j’ai eu me dis-je, d’avoir été témoin de cet instant de grâce où l’amoureux spontané effleure son aimée, laissant jaillir dans un geste minuscule l’immensité du courant d’or qui traverse son coeur.

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Pleurons

Publié le lundi 23 novembre 2020

Osons pleurer, même si ça ne changera rien

Une main d’acier lui étreint parfois la poitrine et appuie sur son souffle comme pour l’isoler.
Ses poumons deviennent lourds et l’air pour circuler doit trouver une énergie supplémentaire, qu’elle n’a pas toujours.
Elle ne comprend pas pourquoi, cette densité qui vient plaquer l’air au fond d’elle.
Elle voudrait réclamer l’oxygène, imposer son droit à respirer légèrement.
Elle voudrait lutter et vaincre, passer en force ou en douceur, mais en tout cas sans avoir à s’arrêter ou à prêter l’oreille.

Et puis, quand même, il a bien fallu finir par écouter ce qui étouffait au dedans.
Elle s’attendait au feu de la colère ou à l’agonie de l’angoisse : le métal qui pesait était si dur et si lourd ; mais non, elle a entendu des pleurs.
Des pleurs de ras le bol, de j’en ai marre, mais qui n’osent pas se montrer car il n’y a rien à faire, c’est comme ça, et pour l’instant il faut tenir. Mais des pleurs quand même, qui cherchent un secours ou une consolation.

Alors ce matin, après une nuit encore passée sous le joug, elle esquisse quelques mots pour dire, mais à peine, à son compagnon, ce sentiment que ça lui fait trop.
Il entend, il accueille, il écoute, et une larme après l’autre, elle commence à laisser couler, à dissoudre le bloc qu’elle avait cristallisé pour ne pas entendre la plainte.

Elle pleure longtemps, elle sanglote, secoue son en dedans figé, et peu à peu, elle sent que ça s’allège ; le poing s’ouvre et le souffle revient.

Souvent, le désespoir à coup d’à quoi bon, nous empêche d’exprimer ce qui nous empoigne ou nous envenime.
Laissons-le pourtant s’écouler et avec, nos énergies emmurées.

Pleurons nos larmes, nos tristesses, nos découragements et nos peurs.
Pleurons ce qui nous fige et nous abat.
Pleurons car parfois c’est juste ce qu’il nous reste à faire. Alors faisons-le, et bien.
Pleurons pour étancher notre soif de dire. Pour ne pas laisser le silence nous manger.
Pleurons pour ouvrir une brèche sur la vie qui nous entoure et pour laisser sortir celle qui souffre en nous.
Pleurons pour les mêler toutes deux, ces deux vies, et pour dissoudre notre petite vie dans la grande.
Pleurons, pour confier à la vie nos malheurs et la laisser en prendre soin, puisque pour nous c’est trop dur.
Pleurons pour l’avertir que nous n’en pouvons plus.
Pleurons pour y croire encore ou plus du tout, mais qu’importe.
Pleurons pour laver notre peine et dissoudre la glace qui nous tient en dedans.
Mettons des mots de larmes puisque les autres ne nous viennent plus. Une lettre après l’autre, l’alphabet sur nos joues raconte une histoire si personnelle qu’un autre peut-être lira.
Pleurons ces pages qui nous étreignent.

Pleurons encore et sans relâche.

Pleurons…

Nous avons tant de douceur à y gagner.

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Trois jours seule

Publié le mercredi 2 septembre 2020

ou que faire de notre liberté ?

Elle a décidé de passer trois jours seule et pour cela elle a réservé une chambre d’hôtes.

Tout de suite, ce qui la surprend au réveil du premier matin, c’est qu’elle a du mal à organiser son emploi du temps. Par quoi commencer ? Prendre une douche ou trainer au lit ? Lire ou écrire ? Sortir ou rester dans sa chambre ? Tout l’intéresse, et rien ne l’aide à faire son choix.

Chez elle, ou dans son quotidien, il y a des repères, des contraintes, qui constituent autant de critères pour définir la prochaine action.

Elle a déjà pris conscience qu’avec son mari, elle se cale souvent sur ce qu’il veut lui, car lui ne semble avoir aucun mal à sentir et décider.

Mais pour elle, en elle, tout est beaucoup plus compliqué (ou subtil selon le regard que l’on veut y porter).

D’abord, effectivement, tant de choses l’intéressent. Elle sent par exemple que prendre une douche lui permettrait de se réveiller plus complètement, mais que rester un peu plus au lit serait un bon moyen de se prélasser dans la brume d’un réveil tranquille. Alors, que choisir ?

Elle a beau fouiller en elle parmi les zones décisionnaires, rien n’y fait. Elle passe par la pensée, le rationnel : elle soupèse le bien et le mal, les pour et les contre, mais ça ne lui donne pas plus d’informations. Si encore elle avait une tâche à accomplir, un rendez-vous à assurer, mais non, personne ne l’attend, elle est libre pour la journée.

Elle se tourne alors vers son ressenti, son désir, ses préférences dans le corps. Mais selon l’option, l’une ou l’autre partie se réjouissent ou sont frustrées, de façon égale.

Pas de réponse de ce côté-là non plus.

Ce qui complique les choses, c’est qu’elle a un peu peur de regretter son choix à la fin. Pas trop peur, mais un peu quand même. Peur d’être passée finalement à côté de ce qui lui aurait été essentiel et qu’elle n’aurait pas assez écouté.

Ces trois jours par exemple, elle les a choisis pour pouvoir écrire mais aussi pour passer du temps à son rythme. Et si à la fin elle n’avait rien fait de concret ? Si elle n’avait rien produit ? Etre à son rythme, est-ce ne rien faire ? Pas sûr…

Ce qu’elle observe avec clarté, c’est vraiment ce champ des possibles ouverts à l’intérieur, l’immense liberté dont elle jouit et la difficulté que c’est pour elle.

A chaque minute, elle peut décider de faire une chose ou une autre, et cela orientera sa vie d’une façon ou d’une autre et cela lui procurera une sensation ou une autre, une satisfaction ou une autre. Mais à chaque choix, elle devra renoncer à tous les autres et avec eux à toutes les satisfactions qui en auraient découlé.

Chaque choix fixe sa vie un peu plus sur le métier qui la tisse. Chaque choix est un point de couleur définitif sur l’ouvrage.

Cette liberté de composer à sa manière et point par point l’oeuvre de sa vie est grisante et même vertigineuse parfois.

Ce qu’elle sait aussi et qu’elle s’entraîne à faire, c’est à poser sur cette oeuvre un regard d’amour et de compassion. Un regard qui soit à la fois exigeant et indulgent. Un regard qui comprenne, qui critique avec justesse et avec ouverture. Si elle n’est pas arrivée à faire ce point sur le tissage, comment mieux le faire la prochaine fois qu’elle passera à cet endroit de l’ouvrage ? Qu’a-t’elle à apprendre pour y arriver ?

Elle sait qu’elle n’a qu’une seule occasion de créer la tapisserie de cette vie. Un passage unique, sans possibilité de défaire. Parfois, elle se sent pressée par cette idée. Mais le plus souvent, elle se dit que c’est une double responsabilité : réaliser ce qui lui semblera le plus juste et demeurer bienveillante envers tout ce qui aura été fait et qui ne pourra jamais être modifié dans le passé.

C’est une invitation à se mettre à l’ouvrage pour faire émerger de la trame de la vie l’oeuvre qui dira qu’elle a traversé le temps et qu’elle y aura laissé sa trace.

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Un des plus beaux cadeaux que j'ai reçu de ma mère

Publié le lundi 10 août 2020

C’est en 1996. J’ai un peu plus de 25 ans, je suis jeune mariée et jeune mère d’un enfant de 7 mois.
Un soir d’hiver, Olivier, mon mari, est violemment agressé par un homme qui lui vole notre unique voiture. Passé par les urgences, il revient dans la nuit à la maison où je l’attends. Sans voiture, et avec un bébé endormi, je n’ai pas pu me rendre à l’hôpital. La nuit finie tant bien que mal, nous appelons mes parents pour leur demander un peu d’aide.
Il nous faut aller au commissariat, à l’assurance, trouver une voiture de dépannage. Nous sommes sous le choc de cette violence subie, nous titubons, nous émergeons.
Mes parents arrivent, ils prennent en charge notre fils le temps que nous fassions les formalités.
Et puis dans l’après midi, nous apprenons que cette affaire de vol est intriquée dans une affaire plus grave. Enquêteurs, police judiciaire. Nous devons nous déplacer plus loin, répondre à des inspecteurs. Nous ne savons pas si nous retrouverons notre voiture.
Mes parents s’occupent de notre bébé et nous prêtent leur véhicule. Ils nous accueillent chez eux, nous font à manger, nous écoutent.
Nous soufflons, nous parlons, pour pouvoir peu à peu intégrer la réalité dans laquelle nous nous sommes retrouvés malgré nous.
Etre ainsi baignés d’amour et d’attention nous permet de rester au contact de notre enfant et de l’entourer de mots et d’affection.
Puis le temps a passé, nous sommes retombés sur nos pieds, nous avons pu nous réancrer dans la vie du quotidien et reprendre le cours de nos chemins plus tranquilles.

Un jour où je me rends chez eux et où j’évoque avec ma mère cet épisode récent, je lui dis que je ne sais pas comment leur rendre tout ce qu’ils ont fait pour nous à cette occasion. Je me sens en dette, redevable de cette générosité à notre égard. Je me dis qu'il faut que je fasse quelque chose concrètement pour équilibrer la donne.
Mais en guise de réponse, elle m'offre cette phrase cadeau, cette phrase d'ouverture qui me saisit au coeur, si fort que je retiens tout de ce moment. Je nous revois, debout dans la cuisine, près de la table, face à face. Moi qui lui dis : « Je ne sais pas comment je pourrais vous rendre ce que vous avez fait pour nous. »

Et elle qui me répond : « Mais tu rendras à tes enfants ! »

D’un coup, je suis libérée de tout. De toutes les dettes passées et présentes. De toutes les dettes envers n’importe qui. Et même de toutes les dettes à venir.
D’un coup, je comprends que le don est une force qui ne va que dans un sens. Le don encourage à donner à son tour, mais pas forcément sous forme d’un rendu au donateur. Le don est comme un torrent, et l’eau reçue de l’amont va nourrir l’aval sans jamais remonter plus haut.
Je comprends aussi soudain que le plus grand don qu’elle m’ait fait, avec mon père, c’est la vie, et que ça, je ne pourrai jamais le leur rendre. Mais que la vie, je peux la rendre à la vie même, en ayant des enfants certes, mais aussi y réinjectant ce que j’en ai reçu de fondamental : l’amour, la joie et la création.
Je ne devais rien à mes parents. Ils m'avaient eux-mêmes offert ce qu’ils avaient reçu. Ils avaient été canal de la vie qui donne à foison et qui les traversait et j’en avais été bénéficiaire.
C’était à moi dorénavant, de laisser circuler cette manne, ce trésor, pour que d’autres puissent ainsi être heureux, soignés, aimés, et ceci sans distinction de dû ou de mérite.

C’était à moi désormais de devenir à la fois canal et passeuse de vie.

Car en donnant, je ne perds rien. Simplement je transmets.

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Accueillir l’émotion de l’autre et la prendre, ça n’est pas la même chose

Publié le vendredi 15 mai 2020

Il y a quelques jours je tenais dans mes bras notre fille qui pleurait beaucoup, prise qu’elle était dans une émotion forte de peur et de tristesse.

Notre autre fille arrive et contemplant cette scène, me demande : « Comment on fait dans ces cas-là ? »
Je lui réponds : « On écoute, on est là. »

J’ai pris conscience à ce moment là du chemin que j’avais parcouru. Il y a quelques mois, j’aurais essayé de trouver des solutions pour ma fille qui pleurait, j’aurais essayé de la sortir de sa détresse, de l’aider à relativiser pour ne pas qu’elle soit si mal.

Et là, je me sentais tranquille. Je la sentais dans sa souffrance mais c’était supportable pour moi ; j’accueillais ce qui se passait pour elle, mais j’étais confiante, je savais que ça allait passer, que bientôt elle serait dans une autre émotion, dans un autre moment de sa vie.
et que la seule chose à faire dans l’instant, c’était de l’aider à être là, dans ce qu’elle avait à vivre pour traverser cet épisode douloureux.

En racontant cette histoire à une amie, je lui dis que je suis heureuse, après tout ce travail sur moi, d’avoir assez d’espace maintenant en moi pour accueillir l’inconfort de l’autre.

Elle me répond que pour elle, c’est encore trop compliqué de prendre la douleur de ses enfants.

Je me suis alors dit qu’il y a une différence entre accueillir ce qui se passe pour l’autre et le prendre.

C’est comme si, en allant dîner chez des amis, ils ouvraient la porte et nous recevaient en disant : « Nous sommes ravis de vous prendre chez nous ! »
Je crois que je me sentirais bloquée, capturée, et plus du tout libre d’arriver puis repartir.

Finalement, accueillir ce qui se passe pour l’autre, c’est peut être la même chose : le laisser arriver, puis repartir. Ca n’est pas nous, ça n’est pas à nous. Ca ne nous appartient pas et donc nous n’avons peut-être même pas le droit de le prendre.

Mais effectivement, ça requiert de l’espace à l’intérieur, un espace suffisamment tranquille et qui n’a pas peur du bouleversement qui est en train de se dérouler chez l’autre. Un espace d’accueil temporaire pour une émotion qui l’est aussi, car c’est sa vocation.

Accueillir ce qui se passe pour l’autre, c’est lui ouvrir notre porte et lui dire « Bienvenue », le laisser pénétrer dans notre espace d’accueil intérieur, on pourrait dire la pièce de vie, la salle commune, sans pour autant lui donner accès aux pièces intimes. C’est aussi accepter que cette vie n’est pas la nôtre, et qu’elle se déroule ailleurs que dans la nôtre. Nous n’en percevons que l’écho. Cet écho nous touche et parfois nous aimerions l’atténuer, le réconforter. Mais le mieux que nous puissions faire je crois, c’est de prendre ce temps de l’accueillir, de lui offrir un espace et un temps en nous.

Puis un moment plus tard, rouvrir notre porte, le laisser ressortir, en confiance et en liberté et lui dire « Au revoir ».

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La grâce d'un merci

Publié le dimanche 5 avril 2020

Dire merci, c'est ouvrir un espace de reconnaissance et d'estime

Ce matin, en ramassant mon linge à laver dans ma chambre, j’ai aussi pris celui d’Olivier.
Il m’arrive de le faire, et d’autres fois non, agacée par un « quand même, il pourrait le faire… ». Puéril certes, mais j’ai parfois du mal à passer au-dessus de ce mouvement rageur qui, je le sais, s’ancre dans ma part Seule-au-monde-sans-personne-sur-qui-compter. Ce mouvement rageur qui a les pieds pris dans le désespoir de l’abandon.

Bref, ce matin, j’ai aussi pris le linge d’Olivier pour le mettre au sale.
Je me suis alors dit que ça serait super s’il le remarquait et qu’il me remerciait pour ce geste.

« Oh !, a rétorqué en moi-même mon procureur-confesseur-inquisiteur, ça n’est pas charitable de faire un acte dévoué et d’en attendre un remerciement ! Tu devrais pouvoir faire tout cela et ne rien en attendre, comme ces personnes qui donnent en silence et sans qu’on le sache. Tu es bien orgueilleuse… » Bref, toutes ces choses sympas que l’on se réserve pour notre consommation personnelle et que l’on n’oserait jamais dire à personne d’autre.

Bon quand même, en arrivant dans la cuisine, je m’assois à la table du petit déjeuner, et je choisis de le lui dire.

Parfois, ça me fait ça : j’ai une phrase dans la tête, et je sais que les minutes qui vont suivre ne seront pas les mêmes selon que je vais dire cette phrase ou pas. C’est un sentiment de puissance et de responsabilité incroyable : si je le dis, il va se passer tout autre chose que si je ne le dis pas. Et ça ne dépend que de moi.

Bref, je lui dis que j’ai ramassé son linge et que c’est un peu compliqué pour moi quand je le ramasse et qu’il ne semble pas le remarquer, ni l’apprécier.

Il sourit, et me dit qu’effectivement, quand parfois il constate que son linge n’est plus là, il se dit qu’il a peut-être oublié qu’il l’avait mis au sale le matin.
Et que du coup, il prend conscience que c’est moi qui l’ai fait, et qu’il m’en remercie. Je me suis sentie heureuse d’avoir fait cela pour lui et qu’il l’ait apprécié. Nous nous sommes souri. C’était un doux moment.

Alors j’ai pris conscience de quelque chose de très important : c’est que le fait de dire merci est plus qu’un signe de reconnaissance et de gratitude pour un service rendu ; le fait de dire merci ouvre un espace de joie partagée autour de cette action.
Je l’ai fait, il l’a vu, il l’a apprécié car il s’est senti reconnu, il me le dit, je l’entends, je me sens reconnue à mon tour. C’est une synergie de reconnaissance de l’existence de chacun, qui renforce l’estime de soi et le plaisir de vivre.
En sollicitant ce « merci », c’était cet espace de joie commune et de plaisir de partager la vie que j’espérais. Et c’est cela qui est advenu, du simple fait d’avoir osé dire cette phrase qui a changé le cours des choses, et qu’elle ait été accueillie.

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Qu'est-ce que j'évite grâce à ma culpabilité ?

Publié le samedi 11 janvier 2020

Me sentir coupable, n'est-ce pas éviter de voir la puissance de l'autre ?

Il y a quelques jours, un gros rhume m’a mise à plat.
J’étais là, dans la cuisine, assise sur ma chaise, avec juste assez d’énergie pour boire mon thé et parler à Olivier.
Et lui, qui allait bien, s’est mis à vider le lave-vaisselle, ou à préparer le repas, je ne sais plus. Ce qui est sûr, c’est que je me suis immédiatement sentie coupable. Coupable d’être assise à ne rien faire pendant qu’il s’activait. Coupable de ne pas lui offrir un temps de repos. Coupable de ne pas faire ce que mon devoir de mère m’appelait à faire. Bref, coupable.

J’avais déjà compris il y a longtemps, combien cette culpabilité cachait d’illusion de toute-puissance.
C’était un jour où j’étais en train de me lamenter que c’était certainement à cause de moi si l’un de mes enfants rencontrait telle difficulté à l’école, et si l’autre traversait un moment douloureux de sa vie. C’était de ma faute, je leur avais transmis mes limites, mes défauts, mes failles. C’était à cause de moi, si ils allaient rencontrer des épreuves ou des échecs.
Et alors que j’étais en train de soliloquer ainsi, Olivier a eu cette répartie : « Ca va les chevilles ? ». Ca m’a stoppée net. Par cette phrase il mettait à jour toute ma grandiloquence, celle par laquelle je m’imaginais capable de tout apporter à mes enfants, d’être la seule à être responsable de leur vie, de leur réussite, et bien sûr et surtout, de leur échec. M’accuser de leur souffrance, c’était au fond me considérer comme capable de leur éviter tout drame et donc comme coupable à chaque fois que cette capacité ferait défaut.

Autant dire que cela m’a calmée… un peu.

Et là, il y a quelques jours, lorsque j’ai exprimé à Olivier mon sentiment de culpabilité de ne pas participer aux tâches avec lui, il m’a répondu qu’il pouvait tout à fait le faire seul.
J’ai soudain compris que oui, bien sûr, il peut, il sait le faire seul. Il n’avait pas besoin de moi à cet endroit là.
J’ai compris qu'il ne me restait qu'à lui faire confiance. Que lui faire confiance serait plus doux pour chacun de nous. Et surtout que ressentir cette culpabilité m’évitait de voir, de sentir combien l’autre peut être puissant, y compris sans moi. Combien l’autre peut réussir, faire sa vie, expérimenter… sans qu’il soit nécessaire que j’intervienne.
Et même, je peux, comme c’était le cas à ce moment-là, profiter de cette puissance, prendre appui dessus, lui faire confiance.

J’ai trouvé cela bon. Un nouveau goût pour ma vie. Un goût de laisser faire, une saveur de lâcher prise.

 

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La joie d'être triste

Publié le lundi 9 septembre 2019

Parfois, la tristesse révèle la joie

Cet été, je suis partie deux semaines en vacances dans un gîte.
La première semaine s’est déroulée en compagnie de mon mari Olivier et de 4 jeunes âgés de 15 à 24 ans.
Nous avons profité de ce moment avec eux, calant les activités selon leurs goûts, leurs choix, leur rythme. C’était bon d’entendre vibrer la maison de leurs musiques, de leurs conversations, de leurs mouvements, de leurs rires. Je les ai contemplés, je me suis gorgée de cette énergie et de cette beauté qui s’ignore et qui rayonne, de cette vie qui jaillit.

A la fin de cette première semaine, ils devaient repartir. Nous le savions, c’était organisé ainsi. Chacun avait des choses à faire avant la rentrée. L’aîné a ramené les 3 autres dans sa voiture. Ils étaient ravis de ce périple entre eux.
De notre côté, avec Olivier, nous nous réjouissions à l’avance de ce temps à deux offert au milieu de l’été.
Au cours des 25 années qui viennent de s’écouler, nous avons rarement pu goûter ainsi à plusieurs jours en tête à tête. Une aubaine !

Le samedi matin, les jeunes ont fait leur bagages, nous nous sommes dit au revoir, et combien nous avions aimé ce temps partagé. Ils sont montés dans la voiture, et ils sont partis.
Avec Olivier, nous les avons salués jusqu’à ce qu’ils tournent au coin de la rue du village où nous logions.

Ils ont disparu. Alors, une bulle de chagrin a éclaté en moi et j’ai fondu en larmes dans les bras d’Olivier.
Quelque chose dans mon coeur ou mon ventre se sentait arraché, dépouillé.
Une main invisible m’avait ôté un sens, un morceau essentiel.
Je venais de vivre un temps béni, et tout s’arrêtait là. C’était dur, vraiment.
J’étais triste, un coin de moi vide et en manque, et je pleurais.

Et dans le même instant, tissés dans le voile du chagrin, j’ai senti en moi des fils de joie très intense.

Joie d’avoir vécu cette semaine d’abord.
Mais surtout, je me sentais joyeuse d’être triste.
Chanceuse en fait.

Quelle chance me disais-je, quelle chance que cette tristesse ! Elle est le signe de l’attachement profond qui me lie à ces enfants que j’aime. Le signe du lien qui court entre eux et moi, la marque de l’amour qui coule entre nous.
Cette tristesse intense bourdonne de cette joie d’aimer et d’être aimée.

A un moment, je me suis dit « Cette tristesse, c’est le prix à payer pour la joie ».
Et puis non en fait. Mes enfants appellent ça « une disquette » : une phrase toute faite que l’on dit sans réfléchir.
J’ai trouvé ça absurde qu’on doive payer pour la joie. Je crois que l’amour n’a pas de prix. Ce chagrin n’était donc pas un prix que je payais pour l’amour ou le bonheur vécu. Non.
Ce chagrin, c’était l’amour même, sous une autre forme. C’était du bonheur aussi. Le bonheur d’accéder enfin dans ma vie à ce sentiment d’attachement qui fait que le lien demeure intact alors même que la personne n’est plus là.

Avant d’être en capacité d’attachement sécure, dans les situations de séparation, soit je sentais de la détresse, soit je ne sentais rien, pour me protéger.
Alors quelle joie, oui, de sentir enfin cette tristesse douce et tendre qui me parle en profondeur de l’amour tranquille que j’éprouve pour ceux qui me sont chers. Elle témoigne de leur présence vivante en moi, dans le lien que j’entretiens avec eux. Cette tristesse révèle la joie.

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